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Le taïchi et le Tao |
Dans la pratique du taïchi et
celle des quatre piliers de La Voie, je constate une parenté évidente, l'une
découle de l'autre. Le taïchi est considéré par de nombreux pratiquants comme
une hygiène de vie favorisant la santé et le bien-être mental, un art du
développement personnel ou martial, sans compter la convivialité qui accompagne
les pratiques collectives. Mais, en vérité, le taïchi a sa source dans la
spiritualité et participe d'un ensemble, une « sadhana ». Le taïchi
seul n'est pas une pratique spirituelle, il est une des faces physique d'un
ensemble spirituel, souvent contemplatif.
La légende veut que le taïchi
ait été inventé par un moine taoïste, il est donc très probable que ce moine
ait intégré les fondements essentiels de sa spiritualité dans cette activité
physique ; quand on est moine, que l'on voue toute sa vie à la
spiritualité, tout est spirituel ! Toute l'existence est considérée comme
une pratique spirituelle.
Pour ce qui est du taoïsme, je
rappelle que La Voie reconnaît Lao-Tseu, l'inspirateur de ceux qui ont créé le
taoïsme, comme un éveillé, au même titre que le plus connu de tous les
éveillés ; le bouddha Gautama et ancien maître-parfait de La Voie. Le
livre qui compile les citations attribuées à Lao-Tseu, le Tao-Te-King, parle
sans ambiguïté de la pratique de La Voie. (lien vers la nouvelle écriture de ce
lire à la lumière de la pratique de la voie). Peut-on trouver des enseignements
de La Voie dans la pratique du taïchi ? Je propose, à ceux qui ont reçu la Révélation des techniques de
méditation de La Voie, la lecture des dix principes du taïchi, selon Yang Chen
Fu *.
1/ Être vide, agile et
maintenir l’énergie au sommet de la tête. Relaxer complètement le corps, mais
pas le déstructurer. Maintenir la tête droite, sans raideur ni rigidité, comme
suspendue par un fil. Relâcher les muscles du visage et coller la langue au
palais (sic). Garder le cou détendu, celui-ci doit être libre de tourner
dans toutes les directions. Concentration et conscience dans chaque mouvement.
Lao-Tseu a dit : « Le Tout, l'Unité est un vide inépuisable. »
(Tao-Te-King, extrait de 1.4)
2/ Rentrer légèrement la
poitrine et étirer le dos. Ce mouvement de la poitrine vers l'intérieur est
destiné à empêcher l'air d'aller vers le haut du corps, ce qui ne manquerait
pas d'arriver si on bombait le thorax. La partie supérieure du corps serait
plus lourde que la partie inférieure, ce qui entraînerait un déséquilibre et un
déracinement. Garder le dos tonique mais non-rigide.
3/ Relâcher la taille. La
région lombaire étant le centre de commandement du mouvement et le centre de
contrôle de l'énergie qui vient des pieds, qui passe par les jambes et
s'épanouit dans les mains et les doigts. La taille est comme une roue en
mouvement.
4/ Bien distinguer la
différence entre le vide et le plein et leur alternance. Dans le taïchi, chaque
attitude a deux pôles, un vide et un plein, selon les principes du yin et du
yang. Lorsque le poids du corps se porte sur la jambe droite, celle-ci devient
pleine (yang), par conséquent, la jambe gauche devient vide (yin). Le poids du
corps ne se porte jamais sur les deux jambes en même temps, excepté à
l'ouverture et à la fermeture de la forme (l'enchaînement). Quand votre centre
de gravité se porte sur une jambe, vous pouvez être souple, rapide et fluide,
par contre, avec le poids également réparti sur les deux jambes, vous êtes
lourd et difficilement mobile. Pour éviter ça, on doit maîtriser les notions du
yin et du yang pour chaque mouvement. Lao-Tseu a dit : « L'éveillé
paraît banal, il est comme une vallée ; plein d'espace invisible aux yeux
aveuglés. » (Tao-Te-King, extrait de 2.41)
5/ Baisser les épaules et
laisser tomber les coudes. Il est important de relâcher les épaules. Si l'on
hausse les épaules, l'air monte vers le haut, ce qui entrave le déroulement des
mouvements. Laisser descendre les coudes. Si les coudes sont suspendus, les
épaules seront tendues. Le but est de garder le souffle vers le bas. Ce
relâchement ne signifie pas un flottement, mais se manifeste dans la détente et
il naît d'une intention de s'installer dans le bassin. Lao-Tseu a dit :
« Quand l'Homme vient de naître, il est souple et faible ; quand
il meurt, il est raide et fort. Quand les arbres et les plantes naissent, ils
sont souples et tendres ; quand ils meurent, ils sont raides et secs. La
raideur et la force sont les compagnes de la mort ; la souplesse et la
faiblesse sont celles de la vie. » (Tao-Te-King, extrait de 2.76)
6/ Employer la pensée
créatrice et non la force musculaire. On utilise l'intention (yi) la volonté et
non la force physique. Là où l'intention, la volonté arrivent, le
« chi » arrive. Les mouvements sont souples et sans violence. La
pratique du taïchi demande une relaxation totale du corps et de s'abstenir du moindre
effort inutile et maladroit. Lao-Tseu parlait du « non-agir ». Cette
notion de « non-agir », qui n'est pas le rien faire, est difficile à
manier pour un non-initié. Le « non-agir » a plus d'une facette, une
de ses facettes est ce qui vient d'être expliqué dans l'abstention de tout
effort inutile. Lao-Tseu a dit : « Celui qui a réalisé, agit dans
le non-agir, détaché des fruits de ses actes, conscient de l'Unité du Tout. »
(Tao-Te-King, extrait de 1.2) Il a dit encore : « On sait que la
dilatation précède la contraction, la force, l'affaiblissement, la splendeur,
la décadence et la richesse, le dépouillement. Cette évidence, à la fois cachée
et éclatante, n'est pas évidente pour tout le monde. Ce qui est mou peut
triompher de ce qui est dur ; ce qui est faible, de ce qui est fort. »
(Tao-Te-King, extrait de 1.36)
7/ Relier le haut et le bas.
Lorsqu'une partie du corps se meut, toutes les autres parties bougent. Si une
partie s'arrête, les autres font de même. Le corps est un tout dont les
éléments sont harmonieusement en relation. Les pieds sont les racines,
l'énergie dont le contrôle réside dans les reins, passe par les jambes et
s'épanouit dans les mains et les doigts. Dans les mouvements, tous les membres
doivent être reliés les uns aux autres, et se mouvoir simultanément. Les bras
et les jambes alternent et correspondent. La main levée s'abaisse pendant que
l'autre s'élève. Lao-Tseu a dit : « La Voie du Tout peut être
comparée à un arc que l'on tend. Le haut est tiré vers le bas. Le bas est tiré
vers le haut. Si la corde est trop longue, on la raccourcit, si elle est trop
courte, on la rallonge. » (Tao-Te-King, extrait de 2.77)
8/ Unir l’intérieur et
l’extérieur. Chaque mouvement doit être réalisé avec une sérieuse attention.
L'esprit joue un rôle essentiel dans l'exercice du taïchi, il est le commandant
et le corps l'exécutant. Si l'esprit est parfaitement concentré, les gestes du
corps s'effectuent avec grâce et facilité et la posture ne dépassera pas le
cadre du vide et du plein. L'intention guide et anime le corps tout entier.
Quand l'esprit conduit le mouvement, c'est être entièrement présent. Lao-Tseu a
dit : « Celui qui se consacre à l'Unité, la voit diminuer, jusqu'à
connaître le non-agir, alors la maîtrise vient et il n'est rien qu'il ne puisse
accomplir. » (Tao-Te-King, extrait de 2.48)
9/ Lier les mouvements sans
interruption. Les mouvements doivent être enchaînés sans rupture. Le geste
commence et se poursuit du début à la fin de l'enchaînement, sans interruption.
Les mouvements des bras sont généralement de forme spirale, commençant ou
achevant un cercle, demi-cercle ou courbe, qui rappelle le symbole du yin et
yang. Accomplir les mouvements comme on tire un fil de soie. Ils s'exprimeront
sans rupture, sans discontinuité. Le corps se meut comme une rivière, sans
cesse parcourue par le flot. Lao-Tseu a dit : « Rien n'est plus
fluide et plus inconsistant que l'eau et pourtant, l'eau attaque et emporte ce
qui est dur et puissant. Dans la lutte éternelle entre l'eau et le roc, c'est
toujours l'eau qui gagne. Rien ne lui résiste et rien ne peut la vaincre. Car
la souplesse s'impose à la dureté. » (Tao-Te-King, extrait de 2.78)
10/ Rechercher le calme au
sein du mouvement. Demeurer paisible dans le mouvement. Le cœur reste calme et
vigilant, recueilli et concentré, rassemblé et éveillé comme un chat guettant
une souris. Le corps demeure tranquille avec sérénité et confiance. Le souffle
intérieur ou « chi » circule et s'exprime sans effort dans le
mouvement en spirale, stable et continu. Lao-Tseu a dit : « Le mouvement
triomphe du froid et le repos de l'ardeur. Le vrai bonheur est dans le calme et
la sérénité. La création repose sur l'harmonie du Tout. »
(Tao-Te-King, extrait de 2.45)
On voit que la posture pour la
pratique du taïchi doit être détendue, souple, permettre la circulation de
l’énergie. Il en va de même pour la posture en méditation assise. Il faut avoir
une posture confortable, détendue, mais pas avachie, que l’on peut garder
longtemps sans douleur et sans effort. Quand on est assez souple pour se mettre
en lotus ou demi-lotus, la position ainsi obtenue est celle qui est
recommandée, dans la pratique du taïchi, pour le dos.
On recherche l’harmonie du
mouvement, l’harmonie du corps… On peut ainsi rester connecter à l’harmonie du
Tout, malgré une activité physique ou devrais-je dire grâce à cette activité.
L’un n’empêche pas l’autre. C’est ce qui me semble important à retenir. Les
deux pratiques ne se gênent pas, elles s’enrichissent mutuellement.
Garder le contrôle du mental,
être entièrement présent, attentif… En pratiquant le service (Lao-Tseu disait
le non-agir), on sait comment maîtriser le mental et garder concentré à ce que
l'on fait. À l’inverse, quand on est attentif au mouvement du taïchi, on se
retrouve automatiquement plongé dans le Saint-Nom, c'est-à-dire qu'un
« sourire-intérieur » s'ouvre dans la poitrine. Encore une fois, l’un
va avec l’autre en parfaite harmonie. Il y a dans le taïchi une posture
intérieure, un état d’esprit qui s’apparente à celui qui favorise la pratique
d'une spiritualité authentique, je parle de simplicité, d’humilité, de
détachement et de constance. Bruce Lee en parlait ainsi : « Le mental est le plus grand obstacle à la
réalisation de n'importe quelle action physique. Il
est vraiment difficile de percevoir simplement. Nos esprits sont très complexes
et s'il est simple d'apprendre à quelqu'un à devenir habile, il est difficile
de lui apprendre un état d'esprit. » (Tao du Jeet Kune Do,
éditions Budostore)
Qui n’a pas été étonné
d’entendre son professeur de taïchi lui dire que le geste est simple, qu’on a
toujours tendance à vouloir en faire trop, qu’il faut s’en tenir à la
simplicité du geste, dans l’harmonie et la fluidité ?
Qui n’a pas fait l’expérience,
en travail à deux, qu’il faut se retenir, garder la maîtrise de son mental pour
ne pas agir, vouloir, faire, quand il s’agit de laisser faire, de suivre le
mouvement de l’autre ?
Qui n’a pas entendu qu’il faut
des années de pratique assidue avant de commencer à maîtriser un peu les
choses ? La constance est une qualité essentielle dans les deux pratiques.
Qui n’a pas cru maîtriser un
mouvement ou une forme pour s’apercevoir à force de répétition, qu’il a encore
beaucoup à apprendre ?
Qui n’a pas remarqué au fil
des ans, l’harmonie, la fluidité qui se manifestent dans la forme lente, une
fois les mouvements appris et menés avec calme, sérénité, attention et
intention. Partir en méditation avec la bonne intention, être attentif dans le
service est une posture élémentaire pour notre pratique.
Quand on pratique le taïchi
avec un camarade, il va de soi qu’il ne faut pas lui nuire, ni être violent, la
bienveillance vis-à-vis des autres est importante et rejoint les premiers angas
de La Voie.
Il n’y a pas de niveaux en
taïchi, comme les différentes ceintures en judo par exemple. Il y a seulement
ceux qui connaissent la forme et ceux qui sont en train de l’apprendre. Après,
il s’agit d’approfondir. Sur La Voie non plus, il n’y a pas de niveaux, pas de
but, d’objectif à atteindre. Le chemin est le but. J’aimerais aussi dire la
même chose du taïchi, le but est de le pratiquer et avec le temps, on
approfondit sa pratique tant pour le taïchi que pour La Voie.
Il est intéressant de noter
que ce n’est qu’au début du 20è siècle que les grades ont été introduits dans
le taïchi (duan). Bien évidemment, le
taïchi s’apprend auprès d’un maître à qui ont obéit, sachant qu’il a une
parfaite maîtrise de son art, cela demande de l’humilité. On apprend à ne pas
se vexer à ne pas se justifier sans cesse à chaque remarque. Sur La Voie, il est
important d’accepter l’enseignement du maître, dont on reconnaît également la
maîtrise et on apprend aussi à ne pas se vexer, à accepter les conseils et à
les appliquer.
Les bienfaits du taïchi pour
la pratique de la Voie
Après une séance de taichi, on
est dans une bonne posture intérieure pour aller méditer sur son zafu, ce n’est
pas un sport qui nous sort de la technique du Saint-Nom, bien au contraire,
elle nous y plonge au fur et à mesure qu’on la laisse agir sur nous, sans y
faire obstacle.
Il est dit, dans les angas,
qu’il faut prendre soin de son corps, car il est le temple de Dieu et c’est par
et grâce à lui qu’on peut pratiquer, être conscient du Saint-Nom et accomplir
notre destinée humaine. Une activité physique n’est pas négligeable pour le bon
fonctionnement de ce corps et quoi de mieux qu’une activité qui nous permet
d’être dans l’harmonie du Saint-Nom, d’être dans l’état d’esprit requis pour la
pratique, selon les angas ? Le lien est évident entre le taïchi et
l'Observance de La Voie.
Signification du terme
taï-chi-chuan à la lumière de La Voie
Enfin, pour terminer, j’ai
fait une petite recherche étymologique concernant les idéogrammes chinois de ce
mot et je suis tombée sur les acceptions suivantes :
Tai : terme de respect
pour les personnes de génération antérieure élevées en dignité. (Ricci 4660)
Ji : le plus haut degré
de perfection. (Ricci 392)
Quan : boxe
Lao-Tseu est appelé en chinois
« Tàishàng lǎojūn », le Seigneur suprême Lao. On
pourrait donc traduire Taï-chi-chuan par « La boxe du maître parfait ».
* Maître Yang Cheng Fu (1883-1936) est sûrement la
figure la plus importante dans l’histoire pour le développement et
l’accessibilité de l’art du Taijiquan. Fils du maître Yang Jian Hou et
petit-fils du fondateur de l’école yang, Maître Yang Luchan. Il est à l'origine
du taolu de 108 mouvements que nous connaissons actuellement.